Il était une fois les mycotoxines…
Aminata et les arachides
Fin des années cinquante au Sénégal, la culture de l’arachide est florissante. Elle s’est développée comme culture de rente (production d’huile et de tourteau) destinée à l’exportation avec une ouverture croissante sur le marché mondial. Moteur du développement de l’économie sénégalaise qui a fourni la majeure partie des revenus des paysans : les hommes dans les champs et les femmes au décorticage, car à cette époque l’égoussage se fait surtout à la main et parfois même avec les dents…
Aminata est une jeune femme d’environ 25 ans. Avec ses cousines Dialika et Aissatou, elle travaille à décortiquer d’énormes tas d’arachides, assise à même la terre, depuis plusieurs années déjà. Elles aiment bien ce travail même si ça fait mal aux mains, car elles en profitent pour papoter, se raconter des blagues et des histoires de filles… Mais depuis quelque temps Aminata ne va pas bien. Ses yeux sont devenus tout jaunes, elle a beaucoup maigri et son ventre a gonflé. “C’est le foie” lui a dit le docteur, “tu as attrapé le cancer”. Cette maladie est une malédiction qui emporte les femmes de la région depuis déjà plusieurs décennies…
Ce sont les arachides qui donnent ce cancer, le docteur en est persuadé, mais pourquoi seulement les femmes ? Et puis Aminata ne mange pas d’arachides, elle n’aime pas ça…
A cette époque, dans les campagnes d’Afrique comme d’ailleurs, on ne sait pas encore bien faire le lien entre la maladie et l’invisible. Aminata et ses consœurs décortiquent parfois les arachides avec leurs dents car certaines gousses très dures résistent aux doigts déjà blessés. Et parmi ces gousses, certaines sont un peu moisies, car les arachides sont stockées en d’énormes tas après leur récolte, pendant plusieurs jours, avant le séchage. Mais ce n’est pas bien grave car les fruits à l’intérieur sont parfaits…
En 1960 des dindes anglaises…
C’est en 1960 en Grande Bretagne que sont identifiées pour la première fois les mycotoxines, lors de la « maladie X du dindon » qui a pratiquement décimé un élevage de dinde. Il s’agissait d’aflatoxines produites par des souches d’Aspergillus flavus qui s’étaient développées sur les tourteaux d’arachide distribués aux animaux.
Soixante ans plus tard, en 2021, ces toxines sournoises sont toujours présentes
On ne trouve pas que des polluants chimiques dans l'alimentation moderne. Des toxines organiques provenant de moisissures peuvent contaminer les aliments et leurs effets n'en sont pas moins délétères. Les mycotoxines comme le déoxynivalénol (DON), l'ochratoxine (OTA) et les aflatoxines contaminent la plupart des cultures de céréales dans toutes les régions du monde, mais se retrouvent aussi dans le café, le vin, la bière, le cacao, les épices et les fruits séchés (raisins secs, les figues sèches...) les oléagineux, les jus de fruits... Il a notamment été constaté que les raisins secs présentaient un degré de contamination élevé et constituent une importante source alimentaire d'OTA pour les personnes qui en consomment en grande quantité. Les aflatoxines, sont retrouvées dans les grains céréaliers (maïs, riz), graines oléagineuses (arachide, tournesol), épices (piment chili, curry et gingembre), fruits à coque (amande, noix, pistache), figues, dattes, cacao, café, manioc, lait provenant d'animaux nourris avec du grain contaminé par les aflatoxines...
Tableau source Afis.org
Elles résistent à la cuisson
Capables de résister aux procédés de transformation comme la cuisson, ces mycotoxines peuvent se retrouver non seulement dans les matières premières mais aussi dans les produits transformés issus de ces matières premières destinés à l'Homme (pâtes, pain, farines) et à l'animal (granulés) à des concentrations supérieures aux limites règlementaires.
Non seulement leurs effets sont ravageurs sur le microbiote intestinal, mais leur accumulation dans l'organisme peut provoquer à terme des cancers du foie et des reins.
Malgré les traitements
Les agriculteurs le savent et traitent abondamment, sauf en agriculture biologique. On pourrait donc s'attendre à retrouver plus de mycotoxines en agriculture biologique en l'absence de produits antifongiques, mais il n'en est rien, le risque est sensiblement le même. D'après le Docteur Michel de Lorgeril, plusieurs études montrent même une plus faible contamination dans l'agriculture biologique.
Des contrôles imparfaits et une toxicité dose-dépendante
Bien que les denrées alimentaires soient contrôlées en France, un seuil de tolérance est admis pour les toxiques et les toxines. Le problème est que même si ce seuil est très bas, la toxicité est souvent dose-dépendante, et en consommant souvent les mêmes produits ou types de produit (céréales complètes du petit déjeuner, beurre d’arachide, jus de pomme…), on court le risque d'un effet nocif à plus ou moins long terme à cause de l'accumulation.
De plus, "l'effet cocktail" (mélange) de plusieurs polluants et toxines pourrait aussi avoir des toxicités plus importantes non encore étudiées. Les moisissures se développant plus facilement sur les aliments dont le temps de stockage est important, on peut essayer de s'en prémunir en préférant des produits emballés à la place du vrac (même si ce n’est pas très écologique), avec des dates d'emballage récentes. L'emballage précoce pourrait éviter la contamination massive qui peut survenir au cours du stockage en vrac.
Traquer la moisissure et varier l’alimentation
On préfèrera les céréales et le pain demi-complets aux complets, car les moisissures se retrouvent plutôt sur la première enveloppe des grains. Les oléagineux seront choisis idéalement avec leur coque. Quant aux fruits frais, ils ne devront pas présenter de trace de pourriture ou de moisissure. De même, il faudra éviter de consommer régulièrement des jus de fruits vendus tout prêts (industriels ou bio) car des fruits abîmés ou touchés par des moisissures pourraient avoir été utilisés.
Enfin, pour limiter les risques dose-dépendants, il faut tâcher de varier le plus possible son alimentation et faire la part belle au frais, aux circuits courts, acheter des aliments “de saison” qui n’ont pas été conservés longtemps et toujours bien rincer les grains (riz, légumineuses, etc.) avant de les cuisiner.
Laurence Pinelli Naturopathe